Interview : Ma vie de courgette du réalisateur Claude Barras sur Capturer la tragédie de l'enfance en stop-motion

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Ma vie de courgette ou alors Ma vie de Courgette est un magnifique film en stop-motion qui mérite absolument sa nomination aux Oscars. Le film sort aux États-Unis le 24 février et je le recommande vraiment aux téléspectateurs de tous âges.

Dans une interview par e-mail, le réalisateur Claude Barras m'a parlé du travail formidable de la scénariste Céline Sciamma (réalisatrice de Jeunesse ) a fait sur le film, son approche de l'adaptation du livre original et la responsabilité de faire un film pour enfants. Les orphelins de Courgette sont dépeints avec cœur, réalisme et honnêteté d'une manière que j'ai l'impression que nous ne voyons pas assez souvent. Si vous aimez le film, Barras nous propose également un certain nombre de films qui influencent son style, sa sensibilité visuelle, etc., que j'ajoute tous totalement à ma liste de surveillance.

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TMS (Charline) : Les dessins de Courgette (et de Camille dans une moindre mesure) nous donnent un aperçu intéressant de son esprit. Comment s'est déroulée la réflexion et le processus de création derrière ces dessins ?

Claude Barras : Les dessins de Zucchini sont nés du choix d'adapter le roman au cinéma en évitant au maximum une voix off. Le roman est écrit à la première personne. Dans ce document, Zucchini décrit les situations parfois très difficiles que lui et ses amis vivent avec naïveté, légèreté et humour. C'est cette langue décalée qui donne au roman son originalité et les dessins sont une traduction cinématographique de cette langue.

La courgette prend du recul par rapport aux drames qu'il vit et y échappe en dessinant. Quant aux dessins eux-mêmes, ils ont été réalisés en collaboration avec Olesya Shchukina, une jeune réalisatrice au style très proche des dessins d'enfants. Je lui donnais un thème ou une phrase et elle revenait avec une dizaine de dessins d'enfants. Tout ce que j'avais à faire était de choisir ceux que j'aimais le plus.

ETC: Quels ont été les défis de l'adaptation du livre original et comment les avez-vous affrontés ?

Barres : Je viens de vous parler d'un premier défi, mais il y en a eu beaucoup d'autres. Je peux citer le nombre impressionnant de personnages et de lieux du roman, ainsi que son aspect épisodique. Le roman est une chronique, une accumulation de situations, de souvenirs. Une ligne d'attaque a dû être choisie afin de recréer un arc dramatique fort autour du triangle d'amitié Courgette/Camille/Simon et d'éliminer un certain nombre de personnages et de situations merveilleux afin d'arriver à un scénario clair, celui qui donne à chaque personnage leur place et le temps d'exister.

C'était aussi nécessaire car, avec un budget de 8M, nous n'avions pas le luxe de construire plus de marionnettes. Autre contretemps, le livre était destiné aux adultes et comportait des éléments explicites ou violents qu'il fallait transformer pour retenir le drame sans choquer les enfants. Céline Sciamma a fait un travail remarquable à tous les niveaux.

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ETC: Pouvez-vous me dire ce que c'était que de passer du court métrage à ce long métrage ?

Barres : C'était lisse. Nous avons un petit studio à Lausanne où nous produisons et réalisons des courts métrages au sein du collectif Hélium Films. C'est avec ce collectif que j'ai pu développer Ma vie de courgette tout en produisant simultanément des courts métrages d'autres réalisateurs. Cette expérience de production m'a vraiment aidé à garder Ma vie de courgette dans un budget qui était très limité ce type de technique.

Par rapport à mes courts métrages, j'ai travaillé dur pour toucher un large public car je voulais transmettre Ma vie de courgette message d'ouverture et de tolérance au plus grand nombre. Quant à l'équipe, la plupart des chefs d'unité ont travaillé avec moi pendant une dizaine d'années sur nos courts métrages et beaucoup d'harmonie artistique et technique était en jeu avant même que nous ne commencions notre premier long métrage.

ETC: Y a-t-il eu des influences importantes dans Ma vie de courgette , que ce soit dans le style narratif ou visuel ?

Barres : Enfant, j'ai grandi avec une série TV française en stop motion, Le manège enchanté [Le Carrousel Magique] de Serge Danot. Très tôt, j'ai aussi découvert le film de Jiří Trnka La main dans un programme de courts métrages diffusé à la télévision du dimanche après-midi. Ceux-ci m'ont vraiment impressionné et je me rends compte que la forme simple dans la conception des marionnettes et dans le film vient de ces premières expériences cinématographiques.

Mon goût pour le mélodrame vient d'une autre série que j'ai vue enfant : Heidi par Isao Takahata et Hayao Miyazaki. Je suis également une grande admiratrice des courts métrages du duo Catherine Buffat et Jean-Luc Gréco, notamment Le sac perdu , mais aussi Madame Tutli Putli par Maciek Szczerbowski et Chris Lavis, de Les soeurs Pearce par Luis Cook, de L’air de Rien par Cécile Milazzo, de S'il te plait dis quelque chose de David O'Reilly, et aussi de Nick Park Conforts de créature .

Dans les longs métrages d'animation, je suis très influencé par le Le roi et l'oiseau moqueur, tombe des lucioles par Isao Takahata, Le cauchemar avant Noël par Henry Selick et Tim Burton, Hayao Miyazaki Princesse Mononoke , de Wes Anderson Fantastique M. Fox, Pierre Lord Poulailler et Les enfants loups Ame et Yuki par Mamoru Hosoda.

Il y a aussi des réalisateurs de films de fiction que j'admire, qui me passionnent beaucoup et qui illustrent mon goût prononcé pour les personnages marginaux : Monstres par Tod Browning, Les 400 coups by François Truffaut, L'homme éléphant par David Lynch, Ailes du désir par Wim Wenders, Homme mort par Jim Jarmusch, Dogville par Lars von Trier, Araignée par David Cronenberg, Amour Chiens par Alejandro G. Iñárritu, Le temps du loup par Michael Haneke, L'hôte par Bong Joon-ho, Vieux garçon par Park Chan-wook, Enfants des hommes par Alfonso Cuarón, Lesbienne by Céline Sciamma, Deux jours, une nuit par les frères Dardenne et le tout récent et magnifique Moi, Daniel Blake par Ken Loach.

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ETC: Avez-vous un moment préféré dans le film, ou un personnage avec lequel vous vous connectez particulièrement ?

Barres : J'aime beaucoup Simon, car il cache sa sensibilité, il est discret, mais au fond il a un si grand cœur qu'il est capable de sacrifier son propre bonheur à celui des autres. Pour cette raison, mon moment préféré, à la lecture du livre, est le moment où Simon surmonte sa colère et son sentiment d'abandon après avoir appris que

ETC: Que pensez-vous que le stop-motion a fait pour cette histoire qu'un autre médium (CGI, live-action) ne serait pas en mesure de réaliser ?

Barres : Peut-être une sorte de simplicité résultant de la technique et du budget. Je pense que le très petit budget (8M) a autant influencé les choix de mise en scène que la technique du stop-motion. Pour moi, simplifier n'est pas affaiblir, mais aller à l'essentiel. Ma vie de courgette est une histoire réaliste et j'ai choisi de mettre du réalisme dans les voix, l'éclairage et la production allégée, des choses qui ne coûtent pas trop cher.

Pour les marionnettes, j'ai essayé de simplifier au maximum le design afin de transmettre des émotions simplement tout en facilitant le travail d'animation. Leurs visages sont comme des émoticônes, ils ont un aspect si simple que les émotions remontent à la surface avec un mouvement presque imperceptible d'une paupière. C'est un jeu très excitant et créatif pour les animateurs.

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ETC: Cette scène de crédit avec Gaspard Schlatter était vraiment agréable. Y a-t-il eu d'autres moments amusants en coulisses que vous seriez prêt à partager ?

Barres : C'est le seul. Mais il y a une anecdote très drôle liée à cela que je vais expliquer. Il a été tourné quatre ans avant le film, en 2009, et ce n'est pas Gaspard Schlatter, mais Paulin Jacquoud, qui est la voix de Zucchini pour ce casting. A l'époque, Robert Boner, le producteur qui était responsable du développement, m'a mis au défi de lui prouver la pertinence d'un film pour enfants qui parle d'abus à l'aide de marionnettes à tête surdéveloppée. Prendre Creature Comforts et le casting de Jean-Pierre Léaud pour Les 400 coups comme inspiration, j'ai imaginé ce casting de courgettes.

Robert Boner en est convaincu mais il prend sa retraite en 2010 et passe le flambeau à Rita Production qui, avec ce film pilote, sécurise rapidement le financement d'une coproduction franco-suisse. Nous avons enregistré les voix fin 2013, mais Paulin avait grandi et ne correspondait plus du tout au rôle de Courgette. Il était triste et Marie-Eve Hildbrand (qui avait supervisé toutes les étapes du travail de la voix, du casting au montage en passant par la direction des comédiens) eut l'idée de lui faire jouer Simon et proposa à Gaspard Schlatter de reprendre le rôle de Courgette . Nous étions tous très soulagés des premiers tests.

ETC: J'ai l'impression que beaucoup de films ne représentent pas toujours les enfants avec précision, les écrivant comme trop adultes ou simples et unidimensionnels. J'ai adoré que Zucchini peignait un regard multidimensionnel sur l'enfance d'enfants aux antécédents très tragiques. Quelle a été votre approche et voyez-vous Zucchini comme un film unique à cet égard ?

Barres : Non, j'ai été très inspiré par des films comme le tombeau des lucioles par Isao Takahata ou, plus récemment, Les enfants loups Ame et Yuki par Mamoru Hosoda. Il convient que les mélodrames mettent en scène les souffrances de l'enfance, mais il est vrai que ce n'est pas un genre très à la mode. Le livre Autobiographie d'une courgette est un monologue plutôt amusant qui parle de choses tristes en les éclairant. C'est aussi ça l'enfance, des éclats de rire et une tristesse inconsolable. Mais rendre cinématographiquement réaliste cette histoire n'est pas une mince affaire.

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Morgan Navorro, une amie qui écrit des livres pour les jeunes et qui a un très bon sens du dialogue m'a aidé à un moment donné, mais c'est Céline Sciamma qui a finalement trouvé comment mêler humour et tristesse avec beaucoup de tendresse et d'empathie. La clé, dit-elle, est de parvenir à penser comme un enfant et de ne pas se demander comment les enfants parlent. C'est la grande réussite du scénario, ce fouillis d'émotions enfantines. Nous rions dans les scènes tristes et pleurons dans les scènes heureuses.

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ETC: Plus généralement, comment les créateurs devraient-ils aborder ces sujets très sérieux dans un film pour enfants ?

Barres : Lorsque Céline m'a fait lire le scénario final, j'ai réalisé que j'avais entre les mains une très belle histoire et à ce moment-là j'ai ressenti une grande excitation mêlée à une grande responsabilité. C'est ce que je pense doit nous guider lorsque nous faisons un film destiné aux enfants, quel que soit son genre, une forme de responsabilité envers ces êtres qui sont notre avenir et à qui nous transmettons nos valeurs.

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